Laurent Garnier

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Avril 2003, Laurent Garnier jouait au Music Box, un club mythique de Manchester pouvant contenir à peine plus de six cents personnes. Cette nuit-là, il offrit un Dj set rare, éclectique, fiévreux, enchaînant classiques raves des années 90 et nouveautés électro, perles early hip-hop et techno de Detroit, hymnes disco ou bombes reggae. Puis Garnier coupa la musique pour laisser résonner une voix a cappella fustigeant la guerre en Irak. La seconde guerre du Golfe était en cours, le gouvernement Blair venait d'entraîner l'Angleterre dans un conflit dont l'opinion publique ne voulait pas. Une clameur s'amplifia et éclata en un cri lorsque retentirent les premiers roulements martiaux du titre War d'Edwin Starr. Là, Manchester perdit les pédales. J'ai vu des T-shirts voler, des gangsters danser comme des diables, des filles se tordre outrageusement, des types se suspendre aux projecteurs fixés au plafond. Ce n'était plus un club, ce n'était même plus un mix Dj, c'était une église païenne dans laquelle tout était permis, les excentricités, les pertes de contrôle, les sourires béats et les gesticulations impossibles. Je me souviens de Laurent plongé dans ses caisses à la recherche d'un dernier disque, hésiter fébrilement entre Farley Jack Master Funk Love Can't Turn Around et Marshall Jefferson Move Your Body. Il trancha et il y eut comme l'écho d'une émeute lorsque le disque s'acheva dans un crépitement.
Cette nuit à Manchester constitue le souvenir le plus exact que je conserve de l'art de Laurent Garnier : généreux, urgent, capable de miracles.
Pourtant, ceux qui comme moi le suivent depuis longtemps savent à quel point cet artiste est multiple, à quel point son statut de « meilleur Dj du monde » n'est qu'un raccourci employé par défaut. Il faut répéter que cet homme est doué d'un sens du combat hors du commun, et qu'il se bat depuis plus de quinze ans pour imposer la bonne musique au public. Que Garnier a toujours refusé les chapelles et privilégié l'action, qu'il ne supporte ni la répétition, encore moins les compromis et certainement pas les temps morts.
Depuis la publication de son troisième album, Unreasonable behaviour, et la tournée mondiale live qui suivit, Laurent n'aura pas chômé. Il y eut une série de concerts dantesques, ceux qui le virent remplacer Guns & Roses au pied levé au festival de Torought-Werchter ou bien se produire au Vietnam (!). Après plus d'une année passée à la tête de la programmation de Radio Nova, Garnier lança PBB (www.pedrobroadcast.com), sa radio sur le net voulue comme une réponse radicale aux formats des stations françaises et qui lui permit de partager les trésors de sa collection de disques. PBB qui se moque des formats, qui croise King Tubby avec les Sex Pistols, qui fait s'enchainer Underground Resistance à Bashung ou Karen Young. Dans la foulée naquit la petite s'ur pirate de PBB, F.U. FM diffusant illégalement ses programmes sur Ibiza durant l'été 2003.

Bien sûr, il y eut la publication d'Electrochoc aux Editions Flammarion, un livre dans lequel nous racontions, à travers la trajectoire de Laurent, l'odyssée techno de ces quinze dernières années. Un succès de librairie (quinze mille copies) aujourd'hui traduit en Allemagne ou en Russie (mais que fait l'Angleterre !).
Il manquait une bande'originale à ce livre et Garnier sortit Excess Luggage dans la foulée, un coffret présentant cinq Dj mixs enregistrés au Sonar, à Detroit, au Rex, sur la BBC ou PBB. Puis il signa un ciné-mix autour des images d'archives de la fondation Albert Khan, banquier philanthrope ayant financé au début du siècle dernier des expéditions aux quatre coins du monde afin de collecter les « archives de la planète. » Vinrent la musique originale de plusieurs court-métrages, celle d'un film consacré aux SDF ou celle d'un dessin animé. Divers remixs et maxis vinrent alimenter la discographie de Laurent tandis qu'inlassablement il parcourait le monde en Dj et honorait son indispensable rendez-vous mensuel au Rex Club. Ce même lieu où démarrait Music, Expect the unexpected en septembre 2004, une tournée européenne engagée avec Jeff Mills.
Ce type s'arrêtera-t-il un jour ' Non, pourquoi ' Et considérez que ce qui vient d'être énoncé n'est que la face visible des activités de Laurent Garnier. Car, parmi ses talents, il faut mentionner l'art des rencontres. De les provoquer et d'en tirer des relations privilégiées.
Depuis Unreasonable Behaviour, Laurent a passé du temps dans les salles de concerts, il s'est ouvert à d'autres genres musicaux et a lié de belles amitiés avec des musiciens d'horizons différents. Parmi eux le norvégien Bugge Wesseltoft, merveilleux pianiste jazz qui rejoignit Garnier sur les scènes du Sonar ou du Montreux Jazz Festival. Dhafer Youssef, chanteur tunisien et maître du oud qui lui aussi répondit par l'affirmative lorsqu'il fut invité à travailler dans le studio de Laurent. The Kub. Un repère devenu lors de ces quatre dernières années le point de rencontre des amis musiciens Scan X, Sangoma Everett, Marc Chalosse ou Philippe Nadaud, qui tous apportèrent leur savoir-faire à The Cloud Making Machine.
The Cloud Making Machine. De quoi s'agit-il au juste ' D'un nouvel album de Garnier ' D'un concept album ' D'un caprice ' D'un projet à part ' D'un projet en plus ' La BO d'un film imaginaire ' Et pourquoi le parrain de la techno en France livre un album cinématique ' Pourquoi une telle rupture avec la musique qu'on lui connaissait ' Pourquoi n'a-t-il pas publié un album techno (de trop), un album electroclash (à la mode) ou un album rock (comme tout le monde) ' The Cloud Making Machine, c'est quoi au juste ce truc '
C'est un album. De la musique. Dix titres composés durant les quatre dernières années qui reflètent une vision intime, profonde de Laurent Garnier. Un disque au climat familier, revêtant cette couleur sombre ayant toujours été présente dans son travail. C'est ainsi, The Cloud Making Machine est à l'image de son géniteur : exigeant, passionné, casse-cou, doué, curieux, versatile. Différent.
Autant vous l'annoncer clairement, vous n'allez pas danser comme des diables en écoutant The Cloud Making Machine. Mais trouvez-vous plutôt un endroit confortable, dépliez la pochette et à travers les indices qui s'y étalent, devinez les différents chapitres qui vous attendent. Ne cherchez pas la petite bête, mais offrez-vous le plaisir d'un voyage, laissez cette musique envahir l'espace et y déployer sa palette de sentiments contradictoires : le chaos et la poésie, les matins radieux et le blues du lendemain, les franches rigolades et l'introspection, l'expérience et l'émotion brute.
Quelqu'un vous raconte une histoire. Laissez-vous faire, les images surgiront.

David Brun-Lambert

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